Après, l'Etat nous a logé dans ce nouvel immeuble de la rue Ferrier-Rothschild. Tout était neuf, les murs, les balcons, les éviers, les escaliers, le parking, les fenêtres, les voisins. Et tout à coup, moi qui n'ai jamais voulu être d'ici, je suis devenue La Suissesse de cet immeuble. C'est de là maintenant que je regarde Genève, depuis cette cour triangulaire où s'allument des dizaines et des dizaines de fenêtres. Toutes identiques. Tout pareilles.

Depuis dix ans, le Théâtre Saint-Gervais s'emploie à mettre en évidence et à faire mieux connaître le potentiel culturel et artistique que l'immigration apporte à Genève. Pour cette nouvelle étape, Philippe Macasdar, directeur du Théâtre St-Gervais, a réuni un collectif de comédiens, metteurs en scène, auteurs, dramaturges, sociologues, cinéastes et professeurs. Ensemble, nous avons imaginé et mis sur pied le projet L'Oeil du cyclone, les 1001 récits de l'arrivée à Genève. Dans le cadre de ce projet, j'ai collaboré à la conception d'un parcours théâtral en trois étapes (un diptyque théâtral suivi d'un épilogue, qui entremêlaient, à l'intérieur de la tour St-Gervais, mots, images, objets et sons) et plus particulièrement à la mise en scène d'une des étapes théâtrales, Voisins, en collaboration avec l'auteur Julie Gilbert, et à la scénographie d'un espace-épilogue.  Pour Voisins, nous avons exploré la frontière entre fiction et documentaire et placé le spectateur devant une incertitude : comédiens ou personnages réels ? Dans ce but, nous avons intégré, incognito, neuf comédiens parmi le public. Au cours de la représentation, qui débutait sur scène par le monologue d'une comédienne, ceux-ci interrompaient brusquement le fil du spectacle en intervenant dans le public. Ils troublaient alors les spectateurs en racontant, chacun de leur côté, et sur le ton de la confidence, des témoignages de migrants qu'ils s'étaient réappropriés. D'abord déroutée, la plupart des spectateurs acceptait peu à peu ces intrusions et passait ensuite avec intérêt d'une écoute intime et active de leurs voisins à une écoute plus habituelle de la narratrice principale, toujours présente sur le plateau. L'espace-épilogue accueillait, lui, en fin de parcours, l'ensemble des spectateurs et des intervenants. Situé au dernier étage du bâtiment, il comprenait deux vidéomatons, dans lesquels les spectateurs étaient invités à laisser à leur tour un témoignage, ainsi qu'une exposition d'objets intimes, confiés par les migrants interviewés. Bien qu'ordinaires et quotidiens, ces objets dégageaient, en tant que témoins et compagnons de ces vies d'exilés, une forte charge affective. Désireux de mettre l'accent sur la dimension sacrée de ces objets, j'ai imaginé un dispositif qui permettait de mettre en valeur leur caractère exceptionnel. Ces objets étaient ainsi présentés dans des cubes de plexiglas et isolés les uns des autres par le jeu des lumières. Et pour conclure cet épilogue par un moment de convivialité et d'échanges, le rideau s'ouvrait soudain sur une petite tente de foire où les spectateurs étaient invités à déguster un kebab.

l'oeil du cyclone - note d'intentions