Notes préliminaires de travail
Après avoir mêlé à mes créations des musiques classiques et contemporaines :
– Chopin
– Debussy, Purcell, Scelsi, et Bach
commandé à des compositeurs et à des sound-designers des musiques de scènes et des univers sonores :
– Claude Berset
– Yves Massy
– Gérard Burger
mis en scène des opéras d’hier et d’aujourd’hui :
– Leos Janacek
– Claude Berset
– Pierre Bartholomée
et répondu à des invitations pour concevoir et mettre en scène des projets de théâtre musical et des performances pluridisciplinaires :
– La Fanfare du Loup
– Luc Ferrari
– Giacinto Scelsi et Volker Böhm
– George Antheil
– Stravinsky, Cowell, Satie, Webern, Bloch, Mossolow, Hindemith et Krenek
– Bernd Alois Zimmermann
s’il y a bien un compositeur qui me pendait au nez,
un compositeur qui s’est intéressé peut-être plus que quiconque aux liens entre musique et théâtre,
un compositeur qui a lui-même souvent imaginé, conjointement aux notes qu’il fixait sur des partitions, des espaces scéniques susceptibles des les accueillir,
un compositeur pour qui l’on a spécialement ouvert, en 1974, une chaire de théâtre musical à la Hochschule für Musik de Cologne,
ce compositeur – chef d’orchestre, metteur en scène, réalisateur et producteur ! – dont l’une des œuvres devait finir par se trouver inévitablement sur mon chemin, c’est bien :
– Mauricio Kagel !
Alors que nous étions en train de plancher sur la création du spectacle « Présence », d’après la partition éponyme du compositeur allemand Bernd Alois Zimmermann, la violoncelliste Joëlle Mauris m’a fait part de son intérêt pour l’œuvre de l’argentin Mauricio Kagel et plus particulièrement pour sa pièce « Variété », dont la version « concert-spectacle » fait se rencontrer musiciens et acrobates.
Passionné par l’interdisciplinarité artistique, j’ai déjà eu l’occasion de réunir sur un même plateau musiciens, chanteurs, acteurs et danseurs, mais n’ai encore jamais travaillé avec des acrobates. Cette nouvelle perspective a suscité ma curiosité. J’ai écouté un enregistrement de « Variété » et Joëlle m’a rapidement proposé de m’entretenir avec l’enthousiaste et énergique Hugo Beretta, en charge ici de la coordination circassienne et de la communication. Il n’en fallait pas plus pour me voir embarqué dans ce nouveau projet.
A l’écoute de cette musique, à l’instrumentation particulièrement atypique et au caractère fantaisiste, l’on comprend pourquoi Mauricio Kagel s’est intéressé au cinéma, à la radio et à l’animation. « Variété » semble contenir en soi une sorte de trame narrative, ou plutôt des trames narratives, onze pour être exact, se succédant et se répondant tout au long des différents mouvements. Le titre lui-même évoque l’univers du cabaret, du music-hall ou encore, bien entendu, celui des soirées de variétés où se succèdent numéros d’artistes et sketchs.
Il s’agira donc pour moi d’imaginer, avec la précieuse complicité de Cindy Mossion (chorégraphe spécialisée en acrobatie) et celle des six acrobates professionnels, des numéros dont les ressorts dramatiques s’inspireront des univers musicaux et des temporalités très contrastées proposés par Kagel ; de faire en sorte que la musique et les numéros des acrobates se rejoignent et dialoguent ou, à l’inverse, qu’ils se combattent et se heurtent par instants.
Il me faudra également développer un fil rouge, qui traversera tout le spectacle, comme savent souvent le faire, dans les cabarets, les Maîtres de cérémonie, et ne pas réduire les musiciens et leur chef d’orchestre au simple rôle qu’ils occuperaient dans une fosse d’orchestre mais, bien au contraire, tâcher de les intégrer physiquement au spectacle et créer des liens entre eux et les acrobates.
Par le passé, j’ai souvent cherché à amplifier la dimension verticale des espaces scéniques, plaçant un comédien « dans les airs », au-dessus de musiciens justement, perchant un pianiste et son piano à queue à cinq mètres de hauteur, imaginant des scénographies et des écrans vidéos se déployant jusqu’à une hauteur de quinze mètres, avec ce nouveau projet acrobatique je pourrai ainsi exploiter plus avant encore cette verticalité, tout en créant des liens avec la dimension horizontale réservée elle, à priori, au chef d’orchestre et aux musiciens.
Tout comme les acrobates semblent questionner par leur pratique une « méta-physique » du corps, viser un au-delà des lois de l’apesanteur, repousser les limites de flexibilité de leurs membres et créer ainsi, devant nos yeux, un monde surnaturel, il faudra nous intéresser à une méta-physique globale de l’espace. La scénographie de ce spectacle devra donner à voir un univers non-réaliste, possédant ses propres codes, et peut-être même sa propre gravité, un lieu secret et mystérieux dans lequel se développeront des scènes étranges, magiques et inquiétantes.
En créant ce spectacle, dont les ingrédients de base, musique et acrobatie, produiront déjà à eux seuls un fort impact, il faudra toutefois veiller aussi à l’imaginaire du spectateur, lui donner la possibilité de regarder et d’écouter mais également, comme je cherche toujours à le faire dans mes créations, lui offrir des espaces assez vastes et relativement indéfinis afin qu’il puisse y inclure sa propre part imaginative.
Au début d’un processus de création, j’ai pour habitude de rassembler de façon instinctive des matériaux qui m’évoquent, à leur manière, l’œuvre sur laquelle je travaille, matériaux qui agiront de prêt ou de loin comme source d’inspiration. Pour conclure, j’aimerais donc citer ici quelques-unes de ces sources, en me cantonnant pour l’heure au domaine, cher à Mauricio Kagel, du cinéma :
– l’envoûtant Club Silencio dans Mulholland Drive de David Lynch,
– l’ensorcelante scène du Candy colored clown dans Blue Velvet du même réalisateur,
– l’hypnotisante séquence d’ouverture dans le film 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick,
– la part d’irréalité farfelue qui se dégage dans certaines séquences des films de Jacques Tati,
– ou encore l’inquiétante Classroom dance dans Institute Benjamenta des Frères Quais.