Chacun sa vérité – Intentions

Laudisi. – … Ils ont créé, elle pour lui, lui pour elle, une illusion qui a la consistance même de la réalité, où ils souhaitent vivre désormais en parfaite harmonie, réconciliés. Et rien, aucun document, ne pourra détruire leur propre réalité parce que c’est à l’intérieur de celle-ci qu’ils respirent; ils la voient, ils la sentent, ils la touchent! Tout au plus, c’est à vous que pourraient servir ces documents, pour assouvir votre stupide curiosité. Vous ne les avez pas, et vous voilà condamnés au merveilleux supplice d’avoir devant vous, côte à côte, là l’illusion et là la réalité, et de ne pas pouvoir les distinguer l’une de l’autre!

Bien que les traductions déjà éditées me donnaient entière satisfaction, j’ai voulu, comme première étape de travail, traduire moi- même ce texte et m’approcher ainsi au plus près de l’écriture et de la pensée de Pirandello. C’était une façon d’expérimenter les enjeux de la traduction et de me confronter aux dilemmes qu’on rencontre parfois au cours d’une telle démarche. Ces dilemmes, très justement formulés dans l’expression italienne « traduttore, traditore » (traducteur, traître), m’ont parfois mis dans la même situation que les personnages de la pièce, c’est-à-dire face au merveilleux supplice de ne pouvoir choisir entre un mot et un autre. Ce supplice a par exemple atteint son comble avec le mot, particulièrement pirandellien, « fantasma », qui peut se traduire en français par « fantôme » ou « fantasme ».

Dans mon travail de mise en scène, j’ai ensuite voulu poursuivre une recherche interdisciplinaire. Théâtre et vidéo se sont côtoyés pour servir une des idées maîtresses de Pirandello, celle du « soi en miroir ». L’introduction d’un espace parallèle (une grande image vidéo composée par 9 téléviseurs) dans l’espace scénique habituel a mis l’accent sur l’apparence illusoire des lieux et des individus, une forme de « théâtre-virtuel » dans le théâtre. L’espace vidéo, tout d’abord lieu d’apparition des étrangers, et l’espace scénique, dévolu aux notables, se transformaient progressivement en vases communicants pour révéler la vacuité de l’être qui n’est jamais un moi entier, défini et statique.

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